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Lors de la Foire de Libramont de juillet dernier, le Collège des Producteurs organisait une conférence intitulée « Prix Juste, interdiction de vente à perte, quel impact pour les producteurs ? » . Cette conférence s’inscrivait dans le cadre du label “Prix Juste Producteur“, et avait pour but de parler des différentes mesures proposées par l’état suite aux mouvements de manifestations des agriculteurs en janvier dernier.  Pour ce faire, les experts Étienne Verhaegen (SPF Économie) et Aurélie Noiret (SPW ARNE DEMNA DAEA), sont venus expliciter les avancées de la législation encadrant les pratiques commerciales déloyales et le développement d’indicateurs économiques pour le secteur agricole, des outils essentiels pour aider les agriculteurs à percevoir une juste rémunération.

Le label “Prix Juste Producteur” développé par le Collège des Producteurs, est une initiative qui garantit une rémunération équitable pour les producteurs. En ce sens, il expérimente déjà des mesures telles que l’interdiction de la vente à perte, ou encore la création d’indicateurs de coûts de production en testant des dispositifs comme la structuration de filières autour de prix communs et le développement d’indicateurs adaptés à la structuration de filières autour de prix communs. Il est donc naturel que le Collège suive de près les progrès des groupes de travail régionaux et fédéraux, mis en place depuis les manifestions des agriculteurs en janvier 2024.

Food Task Force (FTF)

La conférence a mis en lumière les avancées réalisées par la “Food Task Force” (FTF), créée en réponse à l’inflation alimentaire record et aux manifestations des agriculteurs entre 2021 et 2023. Ce groupe, qui réunit divers acteurs de la chaîne agroalimentaire, y compris les administrations régionales et fédérales ainsi que les fédérations de transformation et de distribution, se concentre sur trois axes principaux : la législation, l’économie et la transparence des prix et des marges et la communication.

Durant la conférence, les travaux des groupes de travail dédiés à la législation et à l’économie ont été présentés.

GT Législation : loi UTP

La conférence a mis en lumière la législation européenne transposée en droit belge en 2021, visant à protéger les fournisseurs contre les pratiques commerciales déloyales. La loi UTP (Unfair Trading Practices), adoptée au niveau européen en 2019 et intégrée au droit belge en 2021, a pour objectif de protéger les fournisseurs de produits agroalimentaires dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 350 millions d’euros contre les pratiques abusives de leurs clients-acheteurs.

Cette loi distingue deux catégories de pratiques commerciales :

  1. Liste noire : Pratiques strictement interdites.
  2. Liste grise : Pratiques autorisées à condition que le fournisseur et l’acheteur en aient convenu de manière claire et non équivoque.

En cas de non-respect de ces règles, une plainte peut être déposée auprès de l’Inspection économique en utilisant le formulaire de plainte disponible ici.

Le groupe de travail “Législation” a élargi la liste grise en y ajoutant de nouvelles mesures :

  • L’acheteur achète ses produits au fournisseur à un prix inférieur à ses coûts de production : Lorsque la vente porte sur un produit pour lequel un indice de coûts de production a été validé au sein d’une organisation de branche, à laquelle l’acheteur et le vendeur sont affiliés, cet indice sert de référence pour établir les coûts de production.

Lorsqu’aucun indice de coûts de production n’a été validé au sein d’une organisation de branche reconnue ou lorsque soit l’acheteur, soit le fournisseur, soit les deux ne sont pas affiliés à une organisation de branche reconnue, les coûts de production sont déterminés sur une base individuelle.

  • L’application du principe d’imprévision dans les contrats (interdiction du refus de renégociation en cas de circonstances imprévisibles)

GT économie et transparence : indicateurs de coûts de production

Afin de mettre en œuvre cette loi et en préparation des futurs accords de branche, ce groupe de travail s’attache à développer des indicateurs économiques spécifiques pour le secteur agricole. Ces indicateurs visent à mesurer la rentabilité de chaque filière de manière précise.

Deux types d’indicateurs sont en cours de développement :

  1. Un indicateur structurel annuel : Conçu pour évaluer la situation économique à long terme des exploitations agricoles, cet indicateur se base sur les données des réseaux comptables régionaux.
  2. Un indicateur conjoncturel mensuel/trimestriel : Destiné à mesurer la volatilité des revenus et des coûts au cours des derniers mois, basé sur l’évolution des prix des intrants, l’inflation etc.
  • D’ici la fin de l’année, cinq indicateurs devraient être finalisés :
  • Deux pour le secteur bovin viandeux :
    • Pour les naisseurs engraisseurs, basé sur les comptabilités de la Flandre.
    • Pour les naisseurs éleveurs, basé sur les comptabilités de la Wallonie.
  • Trois pour le secteur porcin.

Par la suite, des indicateurs seront également développés pour les grandes cultures, ainsi que pour l’agriculture biologique, en bovins laitiers et viandeux.

La DAEA souligne l’importance de collecter davantage de données de comptabilité de gestion, en particulier pour le secteur biologique, afin de garantir la robustesse des indicateurs. Pour toute information complémentaire, n’hésitez pas à les contacter.

Toutefois, le groupe de travail doit encore aborder plusieurs questions cruciales. Par exemple, comment instaurer un mécanisme d’alerte en cas de fortes variations des coûts de production, et déterminer le seuil à partir duquel ces variations devraient déclencher des renégociations de contrats.

Il est également important de noter que certains secteurs ne disposent pas encore d’organisations de branche structurées, et que le développement des Organisations de Producteurs (OP), des Groupements de Producteurs, et des coopératives reste limité.

Il doit aussi trouver comment encourager les producteurs à formaliser des contrats écrits, promouvoir la transparence sur les prix payés aux producteurs, et établir des codes de conduite pour encadrer ces contrats. Par ailleurs, des réflexions à l’échelle européenne sont nécessaires pour concilier une rémunération équitable des agriculteurs avec les objectifs de compétitivité de l’Europe dans un marché globalisé.

Retour d’expériences et avis des Producteurs

Au niveau du retour d’expérience du Prix Juste Producteur, les difficultés rencontrées pour fixer des prix et mettre en place l’interdiction de la vente à perte ont été variées. Principalement ces difficultés proviennent de la diversité des fermes et des pratiques rencontrées en Wallonie (taille exploitation, investissements, certifications bio etc). D’autres difficultés relèvent de l’acceptation des prix par l’aval de la chaîne et du consommateur et des données disponibles dans les fermes.

Les producteurs et productrices présents à la conférence, ainsi que divers producteurs contactés en amont se montraient globalement préoccupés par l’application de ces directives, en particulier en ce qui concerne la représentativité des indicateurs de coût et la diversité des fermes en Belgique. Ils s’interrogent également sur la faisabilité du contrôle de l’interdiction de vente à perte et les modalités d’application des nouvelles législations.

Les questions les plus représentatives étaient les suivantes :

Comment contrôler l’interdiction de vente à perte ?

Ces nouvelles directives n’ont pas fonction à diriger toutes les relations mais donnent un signal fort de la nouvelle norme voulue. Ces directives servent à trancher dans le cas d’abus des acheteurs. Il est important de noter qu’en parallèle de cette loi et pour que celle-ci s’applique plus facilement, il faut renforcer le recours aux contrats papiers. Pour définir ces contrats, il est par ailleurs nécessaire d’établir un code de conduite. Cela s’est fait en pommes de terre, avec l’appui du SPF économie.

Que faire du fear factor ?

Les acteurs et actrices se sont montrés intéressés par l’aide de médiateurs ou d’un appui du SPF économie. Le SPF précise par ailleurs qu’il peut être intéressant de chercher parmi les autres fournisseurs s’ils ont aussi subi des pratiques déloyales. En effet, si plusieurs plaintes concernent un acheteur, il sera plus d’difficile pour celui-ci d’identifier d’où vient la plainte.

Quelles seront les conditions pour la vente au rabais ?

L’interdiction de vente à perte est présente dans la liste grise des pratiques déloyales. La vente au rabais en cas de surplus peut donc être autorisée si cela a été convenu au préalable.

Comment s’assurer que les indicateurs prennent en compte les disparités régionales et la diversité des fermes et pratiques en Belgique ? Qui va trancher sur une typologie des fermes ?

Le rôle de la DAEA est de représenter la diversité de fermes wallonnes, les typologies choisies le sont avec l’avis des membres de la Food task Force.  Les comptabilités prises en compte comprennent des exploitations diverses et pour toutes, la DEAE comptabilise des amortissements et fermages fictifs, pour ne pas pénaliser les jeunes agriculteurs dans les calculs de coûts.  Le SPF se penche quant à lui sur l’intérêt d’introduire des coefficients de variation ou écarts-types pour donner plus de précisions sur les indicateurs.

Qui va jouer le jeu ?

La pression du secteur agricole ces dernières années sur les autres acteurs de l’agro-alimentaire s’est intensifiée depuis plusieurs années. Les acteurs pourront s’appuyer sur des données objectives pour les aider dans leurs négociations. Plusieurs acteurs ont exprimé leurs craintes de voir leurs acheteurs s’approvisionner dans d’autres pays, hors Europe. Il est clair que les négociations de prix devront trouver un équilibre dans le cadre de marchés mondiaux. Un producteur proposait par ailleurs de pratiquer différents prix pour le marché intérieur ou extérieur. Toujours par rapport à la concurrence, les producteurs et productrices insistaient sur l’importance de donner un avantage à l’agriculture locale, notamment via la promotion. Ceci est à l’étude dans le cadre du GT Communication.

Temporalité de la mise en place des indicateurs ? Dans combien de temps et renouvelés à quelle fréquence ?

Comme expliqué précédemment il y aura deux types d’indicateurs, annuels et structurels.

Les producteurs et productrices insistaient sur l’importance des délais de paiement courts. Cette pratique fait elle aussi partie de la loi UTP en Belgique. Les délais longs permettent par ailleurs aux transformateurs et à la distribution d’investir l’argent sur les marchés financiers qui leur rapportent plus.

Ces échanges soulignent l’importance de poursuivre les efforts pour garantir des relations commerciales justes et équitables, tout en reconnaissant les défis liés à la mise en œuvre des indicateurs et au contrôle des pratiques commerciales. Les différents GT doivent encore travailler à la mise en place de ces nouveautés en prenant en compte les inquiétudes des producteurs. 

Article publié le 28/04/2024 – rédigé par Aurélie Noiret (SPW ARNE DEMNA DAEA), Etienne Verhaegen (SPF Economie), Claire Fastré (Collège des Producteurs)

Le Collège des Producteurs