En ce début d’année, un empoissonnement de recolonisation du milieu naturel en vairons (Phoxinus phoxinus Linnaeus, 1758) a été effectué à l’initiative de l’Association des Pêcheurs d’Entre-Meuse (APEM) dans le ruisseau des Awirs de la commune de Flémalle. Ces poissons proviennent d’une pisciculture ardennaise qui assure l’intégralité du cycle de production de l’adulte au poisson commercial. Une belle occasion de faire participer les jeunes de l’école communale à cette action et de les sensibiliser à la biodiversité du cours d’eau de leur village.
Le vairon, poisson indigène, est la plus petite espèce de la famille des Cyprinidés, laquelle comprend notamment la carpe, le barbeau, le goujon, pour ne citer que ces espèces. Il se rencontre dans les eaux courantes fraîches et bien oxygénées de la zone à truite et à barbeau, principalement en eaux peu profondes. En tant que Cyprin, c’est cependant dans les eaux plus chaudes de la zone à barbeau qu’il rencontre ses conditions idéales de développement, toutefois qu’il y trouve ses conditions de reproduction. C’est une espèce grégaire que l’on retrouve en bancs de quelques dizaines à plusieurs milliers d’individus en fonction de la saison. La qualité et la diversité des micro-habitats aquatiques favorisent son développement et sa survie, notamment en lui procurant, en tant que proie, les refuges contre ses poissons prédateurs, et lors des crues, de ne pas être entraîné par les flots, en se glissant sous les cailloux ou dans la végétation aquatique.
Au stade adulte (2 à 4 ans), les vairons mesurent généralement de 7 à 10 cm mais peuvent atteindre 14 cm pour les plus gros spécimens. Ils présentent une robe généralement couleur brun-vert, avec un ventre blanc-jaunâtre, une ligne dorée sur les flancs et un dos marbré de nuances foncées. C’est pourquoi son nom est issu du mot latin “varius” qui signifie “tacheté”. Les vairons se caractérisent par un dimorphisme sexuel de croissance (en faveur des femelles) et une parure de reproduction (la robe des mâles s’assombrit, leur ventre rougi et leur tête se couvre de tubercules nuptiaux). Les vieux pêcheurs wallons l’appelaient régulièrement “graivi” peut-être en intelligente observation de son comportement de reproduction sur le gravier propre du cours d’eau, en eau peu profonde (espèce lithophile).
Il se reproduit au printemps, par pontes successives espacées d’une dizaine de jours (ovogenèse asynchrone), dès que l’eau atteint les 10°C, généralement chez nous de fin avril à juin. On constate parfois chez cette espèce un déplacement vers l’amont à la recherche de gravières propres et de bonne granulométrie pour se reproduire. Les mâles sont souvent nombreux sur les frayères et assurent leur nettoyage et oxygénation par leur activité incessante. Les femelles n’y viennent que pour déposer leurs œufs qui s’insinuent dans le substrat et y adhèrent. L’alevin nageant mesure 7-7,5mm, ce qui est finalement très proche des autres cyprins, et donc proportionnellement très gros vis-à-vis de l’adulte. Il est capable immédiatement d’ingérer du plancton animal moyen et grandit très rapidement si la nourriture est abondante.
Son régime alimentaire omnivore permet de valoriser des aliments de petites tailles inaccessibles aux autres espèces de poissons ; il consomme également des débris végétaux dont des algues filamenteuses qui se développent par l’eutrophisation des milieux et qui sont particulièrement préjudiciables à la biodiversité de ceux-ci. Toujours en appétit, il reste en activité alimentaire jusqu’à des températures de 1 à 2 degrés seulement !
Par sa présence et le bon état de ses populations, le vairon est un indicateur écologique assez fiable de la qualité des ruisseaux et rivières. Ce n’est pas qu’il soit si exigeant quant au taux d’oxygène et à la qualité physico-chimique des eaux, mais le comportement reproductif et/ou le résultat des pontes sont inexistants si le milieu n’offre pas toutes les conditions de frayères (graviers couverts d’algues microscopiques et/ou colmatés par des sédiments). De plus, il joue un rôle écologique fondamental comme maillon de la chaîne alimentaire en tant que proie de prédilection des poissons carnassiers. Ceci est surtout d’importance majeure pour la truite fario, qui croît beaucoup plus rapidement en sa présence, évitant aussi l’auto-prédation qui réduit souvent à néant les repeuplements du gestionnaire piscicole en alevins et petites truitelles. Au même titre que l’ensemble des organismes aquatiques, les changements environnementaux principalement dus aux évènements climatiques exceptionnels (sécheresses et inondations) que nous connaissons de manière de plus en plus récurrente affectent les populations de vairons (dégradation de la qualité de l’eau, modification des habitats, …) et ces phénomènes sont encore accentués par des pollutions ponctuelles engendrées par les activités humaines. Cette situation conduit à faire disparaitre voir à amenuiser les populations sous un seuil critique qui ne permet plus d’assurer une reproduction efficace et donc la reconstitution des populations.
En effet, la reproduction qui se réalise de façon grégaire, nécessite un nombre minimum de plusieurs centaines d’individus. Les efforts consentis pour améliorer la qualité des cours d’eau wallons par la limitation du tout à l’égout, la diminution de l’utilisation des pesticides et les campagnes de nettoyage des cours d’eau notamment ont permis d’améliorer considérablement la qualité de ceux-ci les rendant ainsi favorables au développement du vairon, au même titre que d’autres cyprins lithophiles. Néanmoins, sa réintroduction par l’empoissonnement de bon nombre de nos cours d’eau est rendue nécessaire. En effet, sa disparition de nombre de cours d’eau où il abondait il y a quelques décennies n’est pas une fatalité irréversible. Quelques années de repeuplements successifs permettent généralement de réinstaller durablement l’espèce. Effets bénéfiques conjugués pour la biodiversité et reconstruction d’une chaîne alimentaire fondamentale pour la truite fario.
Certains de nos cypriniculteurs wallons, à force de patience et d’observation ont réussi à maitriser le cycle de production complet du vairon. Les conditions très naturelles de leurs élevages qui sont réalisés dans des étangs de terre alimentés en dérivation de cours d’eau, permettent de produire des vairons autochtones de grande qualité particulièrement adaptés pour recoloniser nos ruisseaux et nos rivières. Le savoir-faire de ces passionnés doit davantage être valorisé en intelligente collaboration avec les fédérations de pêche soucieuses de préserver la biodiversité de nos cours d’eau. Cette haute expertise wallonne doit être encouragée dans le cadre d’une gestion de la pêche qui se veut de plus en plus écologique….
Les écosystèmes aquatiques de nos cours d’eau sont un bien commun et fragile qu’il est primordial de protéger au travers d’une prise de conscience collective et d’actions concrètes.