Article rédigé par le Collège et publié dans le numéro de mai de la Boucherie Belge pour conscientiser les bouchers et bouchères à la situation de l’élevage bovin wallon.
Le secteur de la viande fait face à de nombreuses secousses de façon plus ou moins régulières. Critiques de l’opinion, évolution de la consommation, métiers en pénuries, concurrence des importations, …. Autant de défis qui secouent l’ensemble des maillons de de la viande belge. Particulièrement en ce moment, c’est le premier maillon de la filière bovine qui est en profonde crise de rentabilité qui se marque par une diminution du cheptel et du nombre d’éleveurs. En quoi le malaise des éleveurs représente un risque pour le maintien de la boucherie belge et son savoir-faire. Comment pouvez-vous renforcer votre collaboration avec vos éleveurs, garantir la qualité et la disponibilité des viandes locales auprès de votre clientèle ? Décryptage d’un malaise mis en avant lors des récentes manifestation d’agriculteurs.
Un cheptel qui diminue avec des éleveurs moins nombreux et vieillissants
L’élevage bovin viandeux une des activités principales de l’agriculture wallonne et fait partie de notre terroir. Forte de ses nombreuses prairies et du savoir-faire de la filière qui possède une tradition de production de viande bovine, le secteur représente 21 % de la valeur agricole wallonne avec 4 900 éleveurs qui détenaient 226.000 vaches allaitantes (dont 10 % de Bio) en 2022.
Toutefois, le nombre d’éleveurs bovins viandeux en Wallonie a diminué de presque 30 % entre 2010 et 2020 et les données de troupeaux montrent une baisse de 7 % sur les 5 dernières années. Le nombre de femelles (dont le rôle est de donner naissances à des veaux et qui représentent donc le potentiel de production) est en baisse chaque année. Cette baisse est plus forte dans les races viandeuses (-10 % sur les 5 dernières années). Le nombre de naissances suit logiquement la même tendance (données de cheptel SANITEL analysées et transmises par l’ARSIA.)
Un manque de rentabilité chronique des élevages de bovins viandeux
L’élevage est une activité qui nécessite un soin journalier et constant des animaux. L’alimentation des animaux, l’abreuvement, la surveillance sanitaire, les naissances, la gestion des imprévus, etc. C’est une activité de tous les jours, parfois même de la nuit.
Si l’on compare les marges brutes et les revenus moyens des éleveurs de bovins viandeux, ils sont structurellement plus faibles que leurs collègues cultivateurs ou éleveurs laitiers et ce depuis de nombreuses années. Les derniers chiffres disponibles montrent que les élevages de bovins viandeux ont dégagé des revenus moyens de 1 500 € bruts par mois en Wallonie sur l’année 2022. Les jeunes qui voudraient reprendre des fermes bovines sont donc confrontés à la difficulté de faire de gros investissement pour en retirer un revenu aussi faible. Les jeunes ont besoin de perspectives encourageantes pour passer le cap de la reprise d’un élevage bovin.
Les boucheries restent un canal de vente par excellence pour la viande bovine belge
Associées à un terroir, les boucheries sont de véritables ambassadrices de la viande de qualité et d’un savoir-faire. Le consommateur choisit de venir chez le boucher d’abord pour la qualité supérieure de sa viande (58%) ; viennent ensuite les critères du prix (45%), les conseils du boucher (34%), le fait que la viande soit locale (30%), les promotions/réductions (29%) et la durée de conservation (14%) (source).
La viande bovine reste un produit phare avec plus de 9 citoyens belges sur 10 qui en consomment. Les ventes de viande bovine représentent pour la boucherie un chiffre d’affaires de 145 millions € en 2022 en Belgique (données GfK transmises par l’Observatoire de la consommation de l’APAQ-W).
La consommation qui se maintient malgré des abattages en baisse
Les abattages de bovins en Belgique sont aussi en diminution sur les 6 dernières années.
Graphe réalisé par l’auteur sur base de données Statbel (Bilans d’approvisionnement). La production nette représente les volumes abattus dans les abattoirs belges.
La Belgique est toujours autosuffisante en viande bovine mais les abattages baissent plus rapidement que la consommation nationale. Si on fait le focus sur la viande issue du troupeau de races allaitantes, les acteurs de la filière parlent en réalité d’un marché assez proche de l’équilibre offre – demande ces dernières années. Or, le cheptel diminue rapidement et la consommation est stable en volume. L’autosuffisance est donc menacée.
Menace pour l’approvisionnement de viande bovine belge à l’avenir ?
Avec 1 éleveur sur 2 qui a plus de 58 ans, la question de l’autosuffisance va sérieusement se poser pour couvrir la consommation nationale dans les prochaines années.
Une telle analyse doit résonner comme une alerte pour l’avenir de la filière bovine en Wallonie et de chacun des maillons. Aurons-nous toujours assez de viande bovine belge dans les prochaines années pour répondre à la demande des consommateurs demandeur de viande belge ? Au vu de l’évolution démographique des éleveurs et du nombre de bovins viandeux présents en Belgique et du maintien de la consommation, rien n’est garanti !
Une analyse de ce type mériterait d’ailleurs d’être étendue et approfondie avec les données des maillons qui suivent l’élevage (marchands, chevilleurs, abattoirs et ateliers de découpe, grossistes, commerçants). Les marges étant sous pression dans la filière. Evidemment le monde de la boucherie est également en difficulté et fait face à de nombreux défis.
Les solutions à ces problématiques ne sont pas simples et se trouvent au niveau des politiques européennes, fédérales et régionales et des filières privées. Toutefois, il est un levier d’action dont on ne peut certainement pas faire l’économie à court et plus long terme, c’est la revalorisation du prix de la viande bovine à son juste prix comme les syndicats et éleveurs l’ont expliqué lors des manifestations de début d’année. Une analyse effectuée fin 2022 montrait la nécessité d’avoir une hausse du prix d’1 € / kg carcasse à l’époque (pour atteindre 7,20 € / kg carcasse payé à l’éleveur (sans les frais de transport, d’abattage et de découpe éventuelle)) pour permettre aux éleveurs de couvrir leurs coûts de production et se dégager un salaire.
Eleveurs bovins et artisans bouchers : des enjeux communs
Pour faire face à ces défis et assurer la survie de la filière tout en valorisant les viandes locales, il est impératif que les différents acteurs de la chaîne de valeur collaborent étroitement. Les éleveurs, les bouchers et d’autres opérateurs doivent renforcer leur collaboration, partager leurs expertises et leurs ressources, et trouver des solutions innovantes pour surmonter ces difficultés. Comme par exemple les partenariats éleveurs-bouchers qui sont mis en place dans une logique de proximité. En unissant leurs efforts, ils peuvent contribuer à stabiliser le secteur de la viande bovine en Belgique et garantir un approvisionnement durable et de qualité pour les consommateurs. Pour les bouchers indépendants comme pour les éleveurs, il s’agit de pouvoir vivre de son métier et de son savoir-faire, en mettant en avant des produits de qualité vers le consommateur à un juste prix pour l’ensemble des maillons.